La disparition étrange d’Héléna Folsk – Partie 2

La nuit commence à tomber, il est vingt et une heures, je ressens de la fatigue. J’ai parcouru la moitié du chemin. Sur le bord de la route, je vois un panneau qui indique la présence d’un motel à quelques kilomètres de ma position. La photo représentant le motel est magnifique « vivez une nuit de rêve ». Le genre de slogan qui vous donne l’envie de s’arrêter. Le GPS ne m’indique rien, il n’est pas répertorié sur la carte. Je dois tout simplement suivre la route, environ onze kilomètres, avant d’arriver à destination. Le vent se lève, et quelques gouttes de pluie tombent sur le pare-brise du véhicule. La radio ne fonctionne plus, le téléphone m’indique également « no signal ». Je suis proche du parc Provincial Quetico, je bifurque dans un petit chemin de terre. Je suis scrupuleusement la direction indiquée vers le motel. J’arrive devant une barrière, impossible d’aller plus loin donc je laisse mon véhicule sur place en prenant soin de le verrouiller et je continue à pied dans le noir. Heureusement, j’ai la lampe torche de mon téléphone portable. La batterie faiblit, 45% encore.

Avez-vous déjà eu l’occasion de marcher seul, la nuit dans une forêt ? On y entend des bruits étranges, des cris d’animaux, certains sont lointains, mais d’autres sont très proches. Le bruissement des feuillages des arbres et buissons sous l’effet du vent, avec l’impression que quelqu’un animé de mauvaises inten-tions s’y cache, prend vite des allures inquiétantes. Pourquoi suis-je là moi d’ailleurs ? Ne devrais-je pas renoncer et repartir en direction de Mistusinne ?

Le motel semble à l’abandon. Toutes les lumières sont éteintes et il n’y a aucune indication au sujet des horaires… Personne dans les environs. Aucune voi-ture, seules des épaves, on dirait une décharge. Un panneau lumineux clignotant semble montrer l’accueil. J’aperçois une maisonnette accolée au motel. Je suis trempé et la pluie tombe toujours. Je marche dans les flaques d’eau sur un sol humide et mon pan-talon n’est pas épargné par les taches de boue.

Je franchis le sas d’entrée pour m’abriter. Une musique sympathique des années soixante-dix, reposante et stressante à la fois, m’accueille. Sur un petit meuble à gauche de l’entrée, je peux apercevoir un vieux tourne-disque. Le ou la gérante doit être âgé pour écouter ce style de musique. Cette personne collec-tionne des cartes postales, certaines proviennent du Mexique, de la Colombie, de l’Antarctique, et même une de France. Elles datent, elles sont en noir et blanc, peut-être les souvenirs de nombreux voyages à travers le monde. Je n’oublierai pas de lui rappeler qu’on est maintenant au vingt et unième siècle. Sur ma droite, des têtes d’animaux sont accrochées sur le mur, et chose inattendue, un chat empaillé posé sur une petite pierre tombale. On peut y lire quelques inscriptions : Dauby né en deux mille sept, mort en deux mille dix-sept. On y a même ajouté les circonstances de sa mort : écrasé par un visiteur en voiture. Sur un tableau sont affichées des notes concernant la liste des activi-tés, la dernière en date était un feu d’artifice le vingt juin deux mille treize. Quelle Coïncidence ! C’est le jour de mon anniversaire. Et depuis, plus rien…
« Que voulez-vous ? »
Une femme âgée s’approche de moi, avec ses cheveux grisonnants, et une canne à la main. Elle a envi-ron la soixantaine.
« Auriez-vous une chambre disponible pour la nuit, s’il vous plaît ?
— Je ne suis pas la gérante, mon fils ne devrait pas tarder. C’est lui le propriétaire de ce motel. »
Je vais devoir patienter et attendre qu’il arrive.
La femme s’assoit sur une chaise et me fixe du regard. Elle tape au sol avec sa canne, elle doit être malade, ses mains tremblent.
« Vous faites quoi si tard dans le coin ? Cela fait plusieurs années que nous n’avions plus de clients… »
Je lui explique que je suis de passage, que je dois me rendre à Mistusinne pour une enquête, une dispari-tion.
J’entends alors le bruit d’un pick-up qui se gare devant la maisonnette. Il me semble que la vieille sait des choses sur Héléna. Je lui poserai des questions un peu plus tard.
« Mémé, tu n’as rien à faire ici, barre-toi. »
Je reconnais cette voix, c’est celle de Michael que j’ai rencontré auparavant dans la station-service.
« Tiens, je t’ai retrouvé. Tu veux quoi toi ? »
Il claque la porte d’entrée, je me décale, et il se place derrière la borne d’accueil.
« Je souhaite juste une chambre pour me reposer et passer la nuit.
— Prends cette clé, elle est en face. Le ménage n’a pas été fait, tu te débrouilles. La nuit c’est cent dol-lars. »
Je m’empare de la clé posée et je vais prendre pos-session de ma chambre.
« Dors bien … », me dit-il en rigolant.
Le ménage n’a pas été fait ? Je risque d’avoir des surprises. J’ouvre la porte. Une odeur infecte de moi-sissures me prend à la gorge. Une souris passe entre mes jambes, j’avance d’un pas et je marche sur un ca-fard. Quelle horreur… Je me précipite dans la salle de bain et vomis. Je suis écœuré : urinoir sale, lavabo rouillé, eau d’une couleur bizarre. C’est une vraie por-cherie. Le ménage n’a pas été fait depuis des années, ce n’est pas possible. Pour ce qui est de la chambre, pas mieux : draps sales, lit défait, il est hors de question que je dorme dessus. Un fauteuil est installé dans le coin. Je pense que je vais me reposer ici, et prendre des précautions. Je regarde mon téléphone, il est précisément minuit vingt et une. Je m’installe, le réseau est toujours indisponible, à croire que je suis coupé du monde. J’éteins la lumière et commence à somnoler. Demain j’irai me renseigner auprès de cette vieille femme, pour les informations dont elle dispose à pro-pos d’Helena Folsk.

La nuit est longue, je ne suis pas rassuré de dormir dans ce motel. Je n’arrive pas à fermer les yeux. Le lieu est étrange, et lugubre. Je ne me sens pas en sécurité. Tout à coup, la télé s’allume toute seule : une femme parle et raconte qu’elle a vécu un mariage ma-gnifique. Helena Folsk ? Pourquoi ici ? Pourquoi dans ce motel ? Mon imagination doit me jouer des tours. J’avance doucement, quelqu’un a dû rentrer sans mon autorisation. Un magnétoscope transmet les images. La jeune femme semble heureuse. Elle porte une robe rose magnifique, un chapeau sur ses cheveux blonds et un bouquet de fleurs dans la main… Elle salue sa fa-mille et remercie toutes les personnes présentes. Il manque quelqu’un dans la vidéo… Je n’ai pas vu le marié. J’entends frapper, la porte d’entrée s’ouvre lentement alors qu’elle était verrouillée. Je saisis mon arme blanche, un couteau qui se situe dans la poche arrière de mon pantalon. La vieille femme que j’ai rencontrée dans la maisonnette s’avance et s’approche de moi.
« Assois-toi, mon garçon. Je vais te raconter son histoire … »

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